YAN

YAN

BUCAREST // ROUMANIE

HIVER 2023

Quand je l'ai connu, la France venait de le saigner et c'est à Bucarest qu'il trouva refuge ; ville d'hiver aux façades grises. Il était couvert de plaies et de bien fraîches encore, le froid lui brûlait les chairs.

Il eut une drôle d'enfance, dispersée aux quatre vents, ballotté de villages en villes, suivant les errances de son père. Un gamin qui change d'école à chaque rentrée, c'est un gamin qui se confronte très tôt aux arts délicats de la rencontre et du départ.

Études avortées à Bordeaux et la découverte de la lutte : occupation des facs, gilet-jaunisation et condamnation. Boum ! Une coloc' où tout le monde déprime, une cocotte pleine de vapeur qui explose. Boum ! Un paternel qui remonte à la surface, des souvenirs qu'on voudrait taire. Boum ! Boum ! L'amour, puissant et mortel, prêt à ravir jusqu'au moindre souffle d'âme qui nous reste... Boum...

Des boums plein la tête, une âme en exil et le voilà qui s'envole pour Bucarest, petit paradis de tristesse où la langue latine qui y est parlée peine à cacher toute la tragédie slave qui affleure. Ici, chacun trimbale péniblement son existence, surtout en cette saison. Ici, entre les bouches d'égout qui relâchent en vapeurs toute la misère intestinale de la ville, les gens circulent, tête baissée.

Alors quand un Frenchie débarque les tripes au vent et le cœur à l'air, ça se remarque ! Enfin, ça se remarque pour qui veut bien lever la tête. C'était comme si l'intensité des expériences vécues en France lui avait enlevé tout vernis, qu'entre lui et le monde il n'y avait plus de médiations, juste deux corps qui se confrontent en un duel à mort : lui face à l'existence. Forcément, ça attire les curieux.

Bien des fois je le croyais partir pour de bon et rien de cet environnement tout à fait brumeux qu'est celui de Bucarest n'aidait à dissiper la crainte qu'un jour, dans le brouillard, il s'en irait. Mais voilà ! Je me trompais. Car Yan, comme il aime être appelé, possède cet instinct de l'ailleurs, cette idée qu'il existe toujours un lointain meilleur. Tout est possible en ce bas-monde et si rien n'a de sens maintenant tout en aura un peu plus tard, un peu autre part et il a toute les raisons de le croire. 

Car bien qu'assagi, qu’un peu plus paisible maintenant, il n'en porte pas moins toute l'existence au creux de l'estomac. Il en recrache des bouts de temps en temps… Ça donne des textes imprévisibles, plein de nerfs et de brute poésie. Il y a dans son écriture quelque chose de stupéfiant, qui nous laisse apparaître une belle incandescence rouge ; un tison ardent qui éclate d’étincelles et brûle tout ce qu’il y a autour. C’est le génie créatif qui s’emballe.

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Annemarie